Depuis le début des années 2000, l'Internet, la téléphonie mobile et
l'apparition des lecteurs mp3 bouleversent l'univers de la musique avec comme
effet visible, des modes de distribution de la musique qui changent
: on passe d'un support matériel à immatériel d'où un changement de
valeurs et de symbolique importants de ce type de création artistique dans
notre esprit associé à la consommation même de l'oeuvre sonore
construite.
Les modèles économiques des major companies du disque stabilisés depuis la fin
de la Seconde Guerre Mondiale ne sont plus pertinents et rentables. Production,
composition, édition, fabrication, distribution, promotion et
répartition des Droits sont aujourd'hui remis en cause.
La massification du nombre d'utilisateurs d'Internet, de possesseurs de
téléphones portables et de lecteurs mp3 a favorisé cette "perte" de valeurs
patrimoniales d'une culture métier de l'industrie du disque en faveur d'une
musique instrumentée par d'autres acteurs de l'industrie : les fournisseurs
d'accès à Internet (passage obligé), les opérateurs de téléphonie mobile, les
constructeurs d'appareillage physique (lecteurs mp3, téléphones portables)
et logiciels principalement pour lire des fichiers. La "convergence" téléphonie
portable - lecteur mp3 magnifiée actuellement par la campagne de communication
de l'iPhone
générée et relayée sur Internet est l'une des étapes de ce processus.
Il faut se souvenir que les acteurs du marketing sans une véritable culture
métier du disque ont investi les organigrammes de direction de l'industrie
du disque au début des années 90 suite à l'apparition du support CD.
Cette nouvelle industrie musicale est dominée aujourd'hui par des acteurs
médiatiques informatiques qui ont façonné une restriction des droits
d'usage et de partage des créations (Microsoft, Apple, Sony),
des médias traditionnels qui ont investi dans des plateformes en ligne
comme News Corp. de
Rupert Murdoch (qui possède MySpace), des sociétés informatiques médiatiques ayant valorisé la
musique via des capacités de recherche et d'indexation multimédia
textuelles, imagées, animées et vidéo (Google, Yahoo) et tout un
champ qui se façonne mêlant le non marchand au marchand (BitTorrent,
réseaux de pair à pair...). Tous ont un point commun : chercher
dans la publicité le nirvana d'une nouvelle rentabilité où la musique devient
en quelque sorte un "addendum" à une promotion autre.
En parallèle, l'irruption du peer-to-peer (au sens large et
générique) et de réseaux d'échanges immatériels induisent un nouveau
changement de paradigme chez les consommateurs de musique : la remise en cause
de la valeur du coût de la démarche de création musicale et une course à se
procurer de manière gratuite ce qui était "traditionnellement" payant. Les
acteurs de ce marché, en amont, intermédiaires ou utilisateurs
doivent supporter le coût incompressible de la bande passante, donc de
l'utilisation des tuyaux.
Au-delà du changement des modes de distribution, ce nouveau "business model"
publicitaire renouvelé (la musique a toujours entretenu depuis le début du 20e
siècle un rapport très étroit avec l'univers publicitaire et le marketing)
est micro-discriminant car il induit une communautarisation des genres musicaux
et au sein de plateformes "reliant" des individus profilés ayant les
mêmes désirs et affects (gothiques, punk, rap...).
Cet écosystème publicitaire médiatique et économique (adjectif intimement liés)
fait renaître d'une part une culture du remix (générer une oeuvre musicale
d'autres oeuvres musicales existantes) ; lire à ce propos l'article
d'Anne-Marie Boisvert : "Idées sur le remix : du bricolage : une culture assemblée avec
les moyens du bord" (avril, mai 2003) :
"(...) La culture remix : une culture qui embrasse le recyclage et
le glanage, et dont l'originalité est d'avoir transformé les oeuvres
préenregistrées et les moyens de diffusion comme les tables tournantes (outils
traditionnels des DJs) en moyens de création. Ici, ce sont les moyens de
reproduction qui précèdent et servent à la production6. Ainsi, le concept même
d'oeuvre originale s'estompe et perd son sens.
La culture remix est une culture de la citation et du remake, certes,
mais aussi une culture de l'intervention et de la réinvention, avec pour but le
divertissement, mais aussi la communion et la libération. L'artiste aux
commandes fait sciemment place au hasard (entre autres, sous la forme de
glitches) et aux moyens du bord dans son processus créatif. Car le résultat
importe, mais moins que le processus, la performance et l'événement. La culture
remix emprunte ainsi à la société postindustrielle sa sursaturation
sensorielle, en la reproduisant dans un contexte esthétique qui la canalise.
Ses oeuvres demeurent ouvertes, introduisant, au moins pour un moment, un sens
dans la cacophonie du monde, au moyen d'assemblages bricolés et éphémères,
toujours sujets à transformation et toujours susceptibles d'une
réorganisation."
D'autre part, l'écosystème publicitaire médiatique et économique génère
des nouvelles formes courtes d'oeuvres (sonneries musicales, mini-extraits
vidéo, cartes postales virtuelles musicales) que le quotidien Le Monde qualifie
du côté des consommateurs, d'effet snacking dans un article du 19 janvier
2007 : "L'image en renfort de la musique", venant peu à peu se placer à côté
des traditionnels morceaux et albums mais ne qui manqueront pas, avec le temps,
à se substituer à ces derniers, dans la forme même créative :
""Carl Watts, directeur des programmes chez Sony-BMG, est chargé de
développer des formats vidéo courts (1 min 30 maximum), adaptés aux usages des
nouveaux médias, aux sites d'artistes et aux baladeurs vidéo, téléphones
portables, consoles de jeu numériques. Ces "divertissements informatifs" ont
gagné des noms génériques : le blogsong (un artiste explique, avec son morceau
en fond sonore, son état d'esprit lors de la création du titre) ; le live and
rare (extrait de concert inédit) ; le in the mix (travail en studio)... Chez
Sony-BMG, on travaille à la réalisation de "documentaires" sur les artistes,
des 52-minutes faciles à tronçonner sous forme de feuilleton quotidien, et
destinés à forger l'image marketing d'un artiste.
Après le clip, le "snacking"
Tout cela devient du "contenu embarqué", c'est-à-dire proposé à la vente
sur les consoles, téléphones, cartes mémoires, clés USB. On peut aussi les
visionner sur le Net - nous voici dans la sphère du "marketing viral", où
l'internaute sert de relais immédiat. "Les années 1980 ont connu le clip,
poursuit Carl Watts. En 2006, les formats courts correspondent aux habitudes du
"snacking" (picorage) des consommateurs.""