En ces temps
d'accélération de créations hybrides de plateformes du nouveau Web autour de
cartographies annotées par certains utilisateurs internautes et d'une
redécouverte du territoire réel au regard du territoire virtuel, quelques
relectures s'imposent pour prendre un peu de recul sur la notion de territoire
et de ville contemporaine.
En février 2006, le sociologue Jacques Donzelot publie l'article scientifique
"La ville à 3 vitesses" dans la collection Arguments du PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) du
Ministère des Transports et de l'Équipement, qui comprend des textes
synthétiques sur l'actualité des questionnements relatifs à la recherche
urbaine. Jacques Donzelot y décrit 3 phénomènes majeurs du rapport des
habitants à la ville moderne : la relégation, la péri-urbanisation et la
gentrification. Les classes moyennes et précaires se voient rejeter des villes
centres :
"Il y a la mondialisation par le bas qui se traduit par la concentration
de ces minorités visibles dans les territoires de la relégation. Et puis la
mondialisation par le haut qui correspond à la classe émergente associée à la
gentrification. Entre ces deux pôles, aucune commune mesure ne permet
l'établissement d'une relation, conflictuelle ou non. Elles vivent dans la même
ville. Mais celle-ci ne relie pas l'une et l'autre des extrémités de ses
habitants. Elle vit plutôt au rythme des malaises de la population qui
s'intercale entre ces deux éléments sans établir une continuité efficace. Car
cette population de classes moyennes qui constitue la principale part de la
société contribue à la relégation autant qu'elle se sent rejetée par le
processus de gentrification. Autant les classes moyennes ont constitué la
solution de la ville industrielle, autant elles sont devenues le problème dans
la ville mondialisée. Il n'est pas de moyen que la ville puisse à nouveau
"faire société" qui ne nécessite d'apporter une solution aux classes moyennes,
celles qui s'estiment, à juste titre, "les oubliées" de la nouvelle
configuration pour la pure et simple raison qu'elles se trouvent en position de
la subir."
Les classes créatives, puissantes financièrement, tiennent le pouvoir
économique et se concentrent dans les villes centres, autour de bouillonnements
culturels et technologiques, bénéficiant d'accès à des infrastructures
techniques à haut, voire très haut débit.
Dans son essai "La société hypermoderne" (Editions de l'Aube, 2000), François
Ascher, Professeur d'Urbanisme à l'Université de Paris 8, décrit la société moderne dans l'évolution
urbaine et les liens sociaux dans la cité, plus nombreux, mais moins forts, qui
font naître une société de la connaissance, un capitalisme cognitif sur lequel
les individus pensent peser et ainsi transformer le territoire par les
techniques c'est-à-dire les technologies. Les villes changent car la société et
l'économie cognitive imprègnent notamment via les technologies ("les nouvelles
technologies urbaines"), leurs modes de conception, de production et de gestion
:
"Les conceptions et représentations de la métapole seront
inévitablement en phase avec la société hypertexte et avec ses représentations
multidimensionnelles du monde. Il ne pourra y avoir de séparation radicale
entre les manières dont la société se pense et fonctionne, ses paradigmes, et
les manières de concevoir les espaces des villes. Le monde du virtuel pénétrera
inévitablement les théories et les pratiques de l'urbanisme et de
l'architecture urbaine et donnera naissance à des combinaisons nouvelles. Le
virtuel augmentera de différentes manières l'actuel. Demain, l'espace des
villes n'intégrera pas les TIC seulement comme des métaphores, mais ressemblera
davantage, lui aussi, à un hypertexte dans lequel les citadins se fabriqueront
des urbanités variées et changeantes. D'ores et déjà, comme le souligne Antoine
Picon, les citadins se déplacent souvent dans les villes tels des joueurs de
jeux informatiques, sans consulter des modes d'emploi qui n'existent pas ou
sont inutilisables, et se dirigeant par "essais, erreurs et
reconnaissance".
Plus les technologies se font sensibles dans la reconstruction d'un territoire
virtuel pouvant paraître pratique, volontairement organisé, sécurisant, voire
utopique, plus elles semblent buter sur la réalité physique
tangible du territoire local réel.
Illustration chiffrée, le blog Neighbourhoods, sur le modèle des parcours de
vie, rappelle aujourd'hui la sphère territoriale de vie des
enfants britanniques, une échelle extrêmement réduite : la notion de pas de
porte (à 60 m du domicile en ligne droite, à 100 m en marchant), le voisinage
(à 260 m de la maison en ligne droite, à 400 m à pied) et le local (à 600 m de
l'habitation en ligne droite et à 1 km en marchant). Soudainement, le
territoire se fait plus humain.