
Je suis nouvellement chargé de cours au CELSA (Ecole des Hautes études en Sciences
de l'Information et de la Communication rattachée à l'Université Paris-Sorbonne
- Paris IV) en Master 1 Métiers de la communication
et également en Master 2 Communication des entreprises et des
institutions. Pour ce dernier parcours diplômant, je dispense un cours
de Sociologie des Médias informatisés. Mes remerciements à
Valérie
Jeanne-Perrier, Maître de conférences CELSA Paris-Sorbonne.
Deux séances ont été consacrés à l'analyse d' "objets" média présélectionnés
du point de vue du récepteur afin d'envisager une description critique de
ceux-ci via des dispositifs/grilles permettant de proposer une approche
décelant les mutations actuelles à l'oeuvre dans les médias.
Chaque séance a alterné une présentation de l'objet média dans son caractère
pluriforme et un travail à partir d'exemples d'objets, avec capitalisation
permettant d'en distinguer des traits d'analyses du point de vue du récepteur
ou de l' "imaginaire" du récepteur : caractéristiques / contextualisations /
capitalisations / discours / effets / modes de rediffusion et de re-création /
modèle économique en jeu / structuration de la publicité... Ci-après, le plan
de cours des deux séances
La Fanpage Facebook : de "l'ami de mon ami" à la figure du
"fan"
Contexte
A distinguer de la page individuelle Facebook construite autour du profil et du
Mur, le Fanpage Facebook (cf.
http://www.facebook.com/pages/create.php
) s'invite comme une exposition d'une entreprise, d'une administration, d'un
groupe (communauté, entité), personnalité et comme l'un des objets de
communication "tendance" visant à communiquer au sens large (produit, marque,
positionnement social et/ou politique...) via un mouvement d'adhésion :
"Devenir fan".
Il y a désormais une exploitation communicationnelle majeure de la Fanpage
construite comme un dispositif de communication "marketé". Les fameux
"community managers" (en agence ou en entreprise) en font un des focus
essentiels de leur mission d'animation de "communauté(s)". Le récepteur est au
coeur du dispositif dans ce qu'il y a de bâti tout comme l'aspect publicitaire
directement associé ; l'entreprise Facebook incitant fortement à promouvoir sa
page sur Facebook via un apport publicitaire (régie interne
Facebook).
Plan
1. De la relation de pair à pair individuelle à la relation "one to many"
Sur Facebook, le récepteur-acteur se construit comme un individu
professionnalisé et utilitaire. La fanpage tend-t-elle à exacerber cette double
fonction ? Quel est la place du récepteur en tant que "fan" et que signifie
être "fan" ?
2. Le "hacking" ou piratage Web désiré par Facebook du
récepteur-contributeur
La structure de la fanpage est assemblée via des applications différentes
reconstituant un Web dans le Web : le FBML remplace le HTML, les systèmes de
votes/sondages/avis sont possibles, l'agrégation via RSS peut y figurer de
toute part, les possibilités d'analyses de l'audience y sont présentes et
renforcées avec le temps.
La page ne « fait plus acte de » page mais peut être envisagée comme un jeu
d'acteurs où un piratage « conventionnel » fait l'objet d'une forte invitation.
Le récepteur "alimente" la fanpage, la rendant davantage attractive (contenu /
applications / interactions / commentaires / jeu des onglets) et il se crée une
méta-conversation comme variante de Facebook vs. Web.
3. La Fanpage Facebook s'imposant comme page Web : notion de "hub"
identitaire
Noeud d'un réseau de récepteurs-contributeurs consommateurs, la fanpage se
caractérise également comme un "dazibao" discursif et communicationnel
d'interactions mêlant l'annotation, le statut comme témoignage-humeur
instantané, l'aspect asynchrone conversationnel et une méta-discussion
commentée ("j'aime", "je partage", "je commente").
S'y ajoutent la capitalisation d'éléments visant à constituer chez le
récepteur une "identité-réseau" en ligne à la croisée d'affinités avec une
stratégie plus ou moins affirmée (selon le positionnement de l’individu).
Bibliographie
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MédiaMorphoses n°21, Paris, INA, Armand Colin, 2007
BAUMAN Zygmunt, "S'acheter une vie", Paris, Actes Sud, 2008
GIFFARD Alain "Des lectures industrielles" in STIEGLER Bernard (dir.), Pour
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ILLOUZ Eva, Les Sentiments du capitalisme, Paris, Seuil, 2006
LEVY Pierre, "Le Jeu de l'intelligence collective" in Technocommunications,
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McKENZIE WARK Kenneth, Un Manifeste hacker, Paris, CriticalSecret, 2006
PETIT Pascal, "TIC et Nouvelle économie : Entre mirages et miracles" in
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PROULX Serge, "Les Communautés virtuelles : Ce qui fait lien" in PROULX
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SCHOPFEL Joachim,
"Animer le web 2.0 : Community manager" in Veille et recherche de
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VOIROL Olivier, "Les Luttes pour la visibilité", Réseaux n°129-130, Paris,
Hermès, 2005
Coll.,
"Sémiotique et visualisation de l'identité numérique: une étude comparée de
Facebook et Myspace", Working paper, Montpellier, 2009
(Web)
Le ReTweet chez Twitter : une nouvelle forme de la culture du
commentaire ?
Contexte
Twitter est un objet média Web bien particulier, hybride dans sa forme,
pluriel dans ses utilisations et au coeur d'un écosystème d'applications (via
le dispositif technique partagé des API - Interface de Programmation). Dans le
champ des échanges via Twitter, la pratique du ReTweet (republier un message de
140 caractères antérieurement publié par un autre utilisateur) s'est largement
diffusée.
Quelle est la place du récepteur lors du ReTweet et que "vaut" le RT
(ReTweet) : connivence, approbation, confiance, acceptation du message émis, de
l'individu dans son champ relationnel ? Peut-on dire que le RT est une nouvelle
forme de commentaire (vs. commentaire des blogs)
?
Plan
1. Le ReTweet scruté, analysé, catégorisé : de l'audience à la
stratégie de communication
Aux RT, sont attachés des services tiers de Twitter permettant d'analyser
les liens cliqués dans les messages rediffusés. Ces mêmes messages rediffusés
sont agrégés, catégorisés et audités au sein de plateformes de popularité.
Le récepteur qui ReTweete est donc aussi un rediffuseur pouvant
potentiellement ajouter à son discours une marque d'intérêt, une valeur et
assure donc une capillarité du message redistribué vers d'autres récepteurs
potentiellement redistributeurs.
Cette rediffusion peut tout à fait s'inscrire dans une stratégie de
communication avec des données quantifiées et qualifiées. S'agit-il là d'une
nouvelle mesure d'audience en ligne ? D’une syndication « masquée »
?
2. ReTweet et popularité : Sens, concurrence et publics
symboliques
Aujourd'hui, popularité faisant, les acteurs de Twitter les plus RT sont
souvent considérés comme des "influenceurs" par les marques et les acteurs
économiques. Les publics qui RT sont des publics acteurs et leurs RT valent une
forme d'approbation et de confiance.
Plus que cela, ces locuteurs « ReTweetés » et « ReTweetant » cherchent à
affirmer une position dans la communauté des utilisateurs de Twitter et au-delà
dans une perspective liée à un écosystème d’une présence en ligne (blog,
réseaux sociaux tels Facebook, LinkedIn...) définie par des acteurs économiques
comme « identité numérique », « gestion de la e-réputation », « personal
branding » (stratégie de marque personnelle).
L'acte du ReTweet s'affirme-t-il comme un vote, un consentement, un
encouragement... ou autre de la part du récepteur ? Essayons de caractériser ce
que ReTweeter symbolise. Les publics des ReTweets sont loin d'être uniformes et
les récepteurs ne rediffusent-ils pas vers des "figures" de
l'internaute-consommateur imaginaire ou imaginé ?
3. Le ReTweet comme commentaire
L’acte du ReTweet met en valeur le message et son univers (contexte, émetteur,
lieu de l'énonciation, organisation, représentation). En outre, le ReTweet
publié joue sur un espace-temps délimité, et par un aspect éphémère du message
diffusé (140 caractères noyés dans une ligne du temps où la diffusion de
messages est "réactualisée" techniquement de façon permanente).
Le RT et sa rediffusion valent-ils force de commentaire ? S'agit-il d'une
production différenciée et d'un trait de la "culture remix" comme nouvelle «
figure de l’amateur » ?
Bibliographie
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Crédit photo : Ebauche du projet de
logiciel Twitter par Jack Dorsey. Cliché sous Licence Creative Commons.